Bright Star, le film de Jane Campion, est à la fois un bonheur et une déception. Dans la salle « Chaplin » du cinéma Le Club de G., le public était fourni – normal, c’est la première semaine et il faisait (très) froid dehors. Beaucoup de femmes dans la cinquantaine ou s’en approchant. Le film relate l'histoire d’amour entre le poète Anglais John Keats et sa voisine (et plus ou moins hébergeuse) Fanny Brawne, d’un rang social plus élevé. Après un départ tiède, ils tombent amoureux, Keats ne peut l’épouser (trop pauvre) et part en Italie alors qu’il est malade. Il meurt, il a 28 ans (ou 25, je ne sais plus). Fanny est inconsolable (rien d’étonnant). Le film de Campion est cinématographiquement, photographiquement très beau (images claires, cadrages parfaits, chaque détail dans le champ est réfléchi et précis). L’attention au décor est soutenu tant pour les intérieurs que les extérieurs qui sont parfaitement filmés. Contrairement à ce que j’avais lu ici ou là, la musique n’est ni lourde ni apposée comme pour appuyer la narration cinématographique. Pour tout cela, c’est un pur bonheur qui rappelle La leçon de piano. Les sentiments, le rapprochement des âmes et des corps (très chastement) est bien filmé mais un peu trop attendu (les lits contre la cloison, les lettres d’amour cachetées). Ce qui passe moins, c’est qu’à tout cela – et c’est déjà beaucoup – se mêle assez maladroitement, l’évocation de la création poétique. C’est difficilement montrable, puisqu’il faut narrer par l'image un processus éminemment personnel, intime. Et de cela, on ne sait pas grand-chose, on ne voit même rien, sinon par le truchement de la relation amoureuse. Du coup, le film hésite, traîne un peu en langueur, ne sait pas trop où il va. Personnellement, je pense que le crescendo amoureux est traité trop vite – c’est pourtant là où il y a le plus à raconter, et les variations peuvent être infinies - parce qu’il y a la suite à montrer (les temps heureux, la fin tragique). Les acteurs sont plutôt bons et crédibles, les second rôles très fins et soignés. En résumé, un bon moment qui n’atteint pas les sommets.
« Étincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »
Étincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,
Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes —
Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,
Éveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours — ou bien m’évanouir dans la mort.
« Bright star ! would I were steadfast as thou art »
Bright star ! would I were steadfast as thou art —
Not in lone splendour hung aloft the night
And watching, with eternal lids apart,
Like nature’s patient, sleepless Eremite,
The moving waters at their priestlike task
Of pure ablution round earth’s human shores,
Or gazing ont the new soft-fallen mask
Of snow upon the moutains and the moors —
No — yet still steadfast, still unchangeable,
Pillowed upon my fair love’s ripening breast,
To feel for ever its soft swell and fall,
Awake for ever in a sweet unrest,
Still, still to heart her tender-taken breath,
And so live ever — or else swoon to death.
(Note du traducteur : Longtemps tenu pour le dernier poème de Keats, écrit le 29 septembre 1820 où il le copia en marge de l’exemplaire de Shakespeare de son compagnon de voyage en Italie, Joseph Severn. La découverte de la transcription d’une version antérieure datée de 1819 rend cette date impossible. Mais qu’importe !) John Keats, Seul dans la splendeur, La Différence, 1990, traduit de l’anglais par Robert Davreu).