Grenoble-Rives-Beaurepaire-Chanas-Annonay-Yssingeaux-Le Puy-en-Velay
Ligne directe pour le Puy, sans passer par Valence et Lamastre. La route jusqu’à la vallée du Rhône nous est bien connue : traversée de la plaine de Bièvre, à peu près jusqu’à Salaise-sur-Sanne. Ensuite, nationale sinueuse pour Annonay que nous n’avons pas beaucoup aimé (géographie compliquée, patrimoine industriel « fin de règne » et face noire des maisons), mais nous ne nous sommes pas arrêtés pour être conquis. Au-delà, la route remonte la verdoyante vallée de la Cance pour déboucher sur le plateau ardéchois à Saint-Bonnet-le-froid (passés devant l’Auberge des Cimes, le célébrissime et très étoilé restaurant de Régis Marcon). Nous avons pique-niqué dans un pré, à l’orée de l’un de ces innombrables bois de conifères que recèle cette région. Deux petites biches nous ont souhaité la bienvenue. Après Yssingeaux, le paysage change et se fait plus auvergnat, les monts s’arrondissent. Un peu avant le Puy, on devine au loin le massif du Meygal, à quelques kilomètres au nord du Mézenc et du Gerbier-de-Jonc.
Installation au Dyke Hôtel, sur l’une des rues les plus bruyantes du Puy. Visite de la ville et montée vers la cathédrale. La majestueuse face ouest est surprenante, tant parce qu’elle semble prête à s’écrouler d’un instant à l’autre sur le pentu escalier installé à ses pieds, qu’à cause de l’appariement des pierres de la façade et les jeux de couleurs qui en naissent et qui donnent un caractère étrange et, pour tout dire, étranger à l’ensemble. En continuant par degrés sous le porche, on peut voir les deux portes latérales en bois de cèdres du XIIe siècle, recouvertes de caractères coufiques dont l’une représente l’enfance du Christ. Un peu plus haut, il est possible d’admirer les fresques murales de la même époque dont une Transfiguration (mur sud) dans un style byzantin et d’autres représentations, notamment sur l’intrados d’une arcade. Cette partie a été nettoyée et restaurée ces dernières années. Avant de franchir la porte dorée (qui donne accès à un escalier souterrain menant directement à la nef), un dernier regard vers la ville montre la déclivité du lieu, et les efforts qui ont du être entrepris pour contrer la pente. Dans la nef également, les restaurations récentes ont permis de rétablir une partie du badigeon des murs, notamment pour les coupoles sommitales octogonales voutées en cul-de-four, d’un beau jaune qui s’allie merveilleusement avec la couleur très foncée de la pierre employée (les joints clairs participent également à l’effet architectonique en donnant un net délinéament à l’agencement de l’appareil). Les coupoles reposent sur de fines colonnes jumelées (24 par travée) dont certaines ont encore leur fin décor peint bicolore en forme de chevrons. La cathédrale a été fortement rénovée/retouchée/rebâtie au XIXe siècle. Il n’est donc pas toujours facile de lire la construction. L’abside nord accueille depuis 1998 la mystérieuse et miraculeuse « Pierre des fièves » censée apaisée les pires maux. Il s’agit d’une pierre de lave du pays, usée depuis des temps immémoriaux par les pèlerins s’allongeant dessus. Nombreuses peintures d’époque romane dans le transept (côté cloitre) dont un saint Michel terrassant le dragon (réputé être la plus grande peinture de cette époque conservée en France : 5,5m de haut) et un martyr de sainte Catherine (clairement identifiée sous la roue). On sort de la cathédrale par le porche Saint-Jean (entrée des princes – tout à côté est mentionné un Hôtel des Dauphins du Viennois – et des évêques), en passant une curieuse porte toujours recouverte, de nos jours, par une peau de porc, à l’aspect pour le moins ancien et usé).
Le cloitre est très intéressant, bien qu’il ait été passablement réaménagé au XIXe. Nous nous sommes rapidement sauvés de la visite commentée et donnée par un drôle de guide à l’esprit jésuitique et sans doute échappé du séminaire tout proche. Ce Monsieur sérieux et un brin professoral ne concevait la visite que comme une longue suite de questions de lui à nous, histoire de nous aider à réviser le baccalauréat. L’ensemble est entouré de bâtiments médiévaux à mâchicoulis qui donnent un aspect très défensif au lieu. Dans la salle capitulaire sont regroupées des pierres tombales des chanoines et au mur sud une fresque de la Crucifixion peinte au début du XIIIe siècle (« passage d’un style byzantin à un style français particulièrement inventif, novateur et souple, qui évoluera durant toute la période gothique » in « Le Puy-en-Velay, l’ensemble cathédral Notre-Dame », Editions du Patrimoine, 2005). Deux bâtiments ne sont pas ouverts à la visite. Il s’agit du Logis des Clergeons et du baptistère Saint-Jean. Le premier renferme des fresques apparemment magnifiques et le second est un témoignage de l’époque carolingienne. Au chevet de la cathédrale, il est possible de voir entre le clocher et la sacristie, un curieux bas relief indiquant les propriétés curatives de l’eau tirée d’un puits se trouvant à proximité. On l’aura compris, le génie du lieu réside dans l’imbrication des époques et des reconstructions qui vont avec. Le conseil général de la Haute-Loire s’est d’ailleurs installé récemment à proximité dans les locaux de l’ancien Hôpital restaurés par Jean-Michel Willmotte, comme on peut le voir ici. Hélas, le crépissage partiel de certaines façades donne ce vilain aspect de nougat, si triste et affligeant pour l’œil.
Au-dessus du plateau aménagé à l’époque médiévale pour construire le cloitre, a été érigé en 1860, avec la fonte de fer des 213 canons pris à l’ennemi par le général Pelissier au siège de Sébastopol, la statue de Notre-Dame-de-France. De son sommet, on jouit d’une très belle vue sur la cathédrale et la vieille ville, ainsi qu’au nord-ouest sur la forteresse de Polignac.
Mais le plus beau monument de la ville, celui qui s’allie le mieux avec son site, est la curieuse Chapelle de Saint-michel d’Aiguilhe qui trône du haut de son piton volcanique. Ces cheminées de lave sont des dykes ou neck. Ils sont le résultat de l’écoulement solidifié de la lave au fond d’un ancien lac. La montée est raide mais le visiteur est accueilli par un magnifique portail aux cinq bas reliefs et aux motifs géométriques polychromes. Et comme souvent au Puy, cette association de plusieurs tons de pierre volcanique fait plus que participer à l’architecture du lieu, cela ouvre tout un jeu de lumières et d’éclairages, comme une troisième dimension sensible. La chapelle a été consacrée le 18 juillet 962 par l’évêque Gothescalk (un des premiers pèlerins français vers le tombeau de Saint-Jacques à Compostelle). Une fois franchie la porte basse et monté un court escalier, on accède à un véritable sanctuaire s’organisant autour d’une minuscule et primitive église à plan carré à laquelle a été ajouté un déambulatoire en forme de spirale. L’ensemble a miraculeusement conservé ses fresques, notamment la grande composition sur la voute du chœur. La couche picturale et l’extérieur du bâtiment ont été méticuleusement restaurés au début de notre siècle (voir la revue Monumental, 2005-premier semestre). En regagnant la ville du Puy, nous sommes passés devant la très jolie et simple chapelle Saint-Clair avec son curieux linteau décrivant le parcours de la lune autour du soleil. C’est aussi un concentré de l’architecture que l’on trouve à la cathédrale, notamment ces curieuses mosaïques en forme de losanges qui lui donnent ce caractère si oriental.
Dîner très simple mais honorable, à l’enseigne de l’Ecu d’or, dans une salle voutée d’époque gothique. Notre parcours nocturne nous a permis de revoir les principaux monuments de la ville sous un autre éclairage, notamment l’immense face ouest de la cathédrale et la chapelle Saint-michel magnifiquement illuminée sur son piton rocheux. L’inscription au patrimoine mondiale de l’Unesco a sans doute redonné un bon coup de dynamisme à cette petite ville de province. Les efforts d’illumination sont tout à fait remarquables et la ville est très propre ; les murs infiniment moins tagués qu’à Montpellier, par exemple.

Saint-michel d’Aiguilhe, 2 mai 2006, 20h46